jeudi 28 février 2013

Au matin



Peu à peu se déride la nuit
Mes globules mordorés lissent leurs épouvantes
L’onde nocturne s’apaise
Sous le souffle nu des lutins nouveau-nés
Sous les doigts rosés de l’aube frêle
Les monstres baissent la tête
Se cachent dans mes placards verrouillés
Et mon fantôme familier
M’emmène par la main
Bien plus loin
Bien plus haut
Comme bonnet jeté par-dessus les moulins
Vers le dernier songe
Avant l’errance diurne

jeudi 14 février 2013

Asphalte nu



   Malgré les heures éparses et nos étranges ailleurs, malgré le lent grincement lancinant des trains, malgré les rails qui s’enchevêtrent qui nous séparent, c’est toujours toi.
   Je sais encore ce que tu dirais de cette nuit : les lampadaires seraient gibets et les platanes pendus, suppliciés spectateurs intermittents de ton long cadavre d’amour. J’ai vécu ce monde-là, bien plus que le mien. Même si tu m’as exilée trop loin de tes chemins circonvolutifs, c’est toujours toi.
   Encore le parc solitaire s’est recroquevillé sur ses souvenirs. Les toboggans, eux, cabriolent à la nuit, et les balançoires hystériques se dévergondent à tout vent. Tu te rirais toujours de ces mots-là. Des chats furtifs passent et me sourient : ils parlent ma langue maternelle du silence. Mais c’est toujours toi.
   Et les grues grinçantes au loin détendent leurs vertèbres ; girafes impassibles, elles me décrochent la lune, et mâchouillent le ciel. Leur éloquence tacite est celle des rues qui m’enserrent de leur nuit. Nous partageons le même rien : c’est toujours toi.
   Dans le vide de mots aussi. Je cultive les silences. Mes Kickers éculées crèvent le bitume. Derrière les vitres étoilées de pénombre et de sueur, des couples attablés. Écarquillée je contemple nos fantômes dévorés par les ans. Même menu, même table. Et maintenant moi pétrifiée de l’autre côté du miroir. Absurde morsure de ce temps de ce moment. Cruauté stupéfaite. Même mon reflet s’est évanoui. Pourtant, c’est toujours toi.
   Brouhaha des bus des voitures. Dans les lueurs échappées des fenêtres le bleu spectral des nouvelles du monde. Familles resserrées. Infini désert sombre de chaque rue. Les autres ne me voient pas plus que toi. Et voilà que je m’englue dans la vitrine du libraire. Voler ce que je peux. Autres horizons. Autres images. Autres mots. Autres maux. Ce que j’emporte ne fait tort à personne pourtant… Un instant m’arracher à moi-même dans la triste étreinte des néons. Mais c’est toujours, toujours toi.
   Et moi. Dans la nuit. Ombre sans portable sans photos. Sans les autres. Sans le monde. Mon bagage chromatique alphabétique me suit malgré moi. Lui, et tout le reste. La rue entière sent le kebab, et je suis là. Je suis là. Sans toi. Et le poignet lourd de l’absence de ce précieux bracelet de grenat que tu m’avais donné. Je pense au bracelet que je ne porte pas. Don d’amour sans doute, don trop enchâssé trop serti étranger à moi d’une incongrue brillance. Je laisse cet éclat à d’autres moins enchaînées. Mais même sans gemmes sans anneaux, même sans fleurs pétulantes ni cœur de quartz ni vers énamourés, c’est toi.
    Sous mes pieds les trains grincent de toute la force grasse de leurs essieux. Toi tu enlacerais benjoin, rares herbacées, dépouilles odorantes, cruels anathèmes et vieux rêves en deuil –moi je ne dirais rien et je te serrerais. Je ne dis rien. Rien que le silence. Je marche. En rond en rond en rond. Sur les pas d’un autre temps moribond agonisant ne finissant pas d’agoniser. J’ai beau nier la dégénérescence du vide, glorifier l’obsolescence des désirs. Soir de février. Il neige. Personne. C’est toujours toi.

lundi 11 février 2013

Ici et là-bas



Il y a tous les mots que j’ai à te dire
Mon amour pour avoir sublimé mes désirs
Pris mon œil à la veine
Pâle de ta vie
Comme un souffle
Mon amour pour avoir dépassé le silence
Mis tes lèvres sur l’opale lisse de mes rêves
En appel permanent
Il y a tous ces mots que j’ai à te dire
Tout l’espace n’est jamais suffisant
Épopée après fantasme
Fantasme après mélopée
Il y a des mots
Toujours les mêmes 
En leur fond
Écartelés pourtant
Par toi
Mon amour
Tous les mots que j’ai à te dire
Je te pense
Je les ai tous mes mots
Mon amour
Je les sais
Inutiles impuissants
Résignés
Quand l’air du temps est plus volage
La carte du tendre ne dit plus rien
Mais l’imminence seule des corps à corps

mercredi 6 février 2013

Hiver



Tous mes mots emmurés
Dans le blanc silence
Étouffés
Annihilés
Anéantis
Pivoines poignardées
Mes joies d’hier
Se fondent
En ce grand rien

lundi 4 février 2013

Bagages

Je traîne derrière moi la
Valise
Trop lourde du
Passé
Elle marche par les rues
Elle rebondit sur les trottoirs
Elle se souvient
Elle me précède parfois
Elle va plus loin que moi
Me tire sur les chemins
Oubliés
Elle est lourde
Pleine
Ventre distendu
De tes images
De nos mots
Elle parle
Elle bâille
Elle sème
Mais
Je retrouve toujours
Pas après pas
Mes effets perdus
Ils reviennent à la
Valise
Lui collent une autre étiquette
Jamais exotique
Toujours banale
Comme autre nom de moi
Je traîne ma
Valise
Au long des rues
Jusqu’à mon triste
Terminal
Où tu n’es
Pas